Les habitants devinrent alors très riches, en particulier ceux de Faudan. Tous les dimanches, par exemple, ils jouaient aux boules, mais n’utilisaient que des boules en or pur !
Une telle opulence entraîna vite un relâchement complet de la foi et des mœurs.
Emu de cet état de fait, le père supérieur de l’abbaye de la Novalaise, en Piémont, envoya un saint homme, le moine Landry, pour ramener à Dieu ces mécréants de Haute-Maurienne.
Non contents de l’éconduite, les habitants de Faudan l’assommèrent et le précipitèrent dans les eaux tumultueuses de l’Arc, elles emportèrent le corps du moine jusqu’à une caverne située au pied de Lanslevillard. Les cloches de ce village se mirent aussitôt à sonner à toute volée, la croix de procession sortit d’elle-même de l’église et conduisit les paroissiens jusqu’à la caverne où ils recueillirent le cadavre de saint Landry.
Les habitants de Faudan ne furent pas émus de ce miracle. Ils n’éprouvèrent aucun remords et poursuivirent leur vie de débauche, au grand désespoir de la Marguerite, vieille femme d’une extrême bonté, qui vivait misérablement dans une pauvre masure, à l’écart des maisons du village, dont la seule compagnie était sa chèvre.
Un an, très exactement, s’était écoulé depuis le meurtre de saint Landry. A la tombé de la nuit, un vieillard, accablé de fatigue, vaincu par le froid, la faim et le vent, arriva à Faudan. Il s’était égaré dans ces montagnes de Haute-Maurienne et titubait d’épuisement. Encore un peu et il serait tombé inanimé au bord du sentier.
Le voyageur, épuisé, frappa à la première porte, à la suivante, puis à toutes les portes du village, quémandant en vain un morceau de pain et un peu de paille pour la nuit. Partout, il fut éconduit à coups de railleries, parfois même, il fut chassé à coups de bâton. Désespéré, il traversa tout le village. Il avait de plus en plus froid, de plus en plus faim et il s’affaissa sur une pierre, à la sortie de Faudan.
La masure de la Marguerite était toute proche. Elle aperçut le pauvre homme et l’invita aussitôt à pénétrer dans sa modeste demeure. Elle ranima le foyer pour qu’il puisse se réchauffer et lui proposa un fromage de son unique chèvre. Puis elle accrocha, au-dessus des braises, une marmite de fonte dans laquelle il restait un peu de soupe.
– C’est tout ce que je peux vous offrir. Mangez de bon cœur, un bon chrétien doit partager avec autrui le peu qu’il possède.
Lorsqu’ils eurent achevé leur simple repas, l’égaré prévint son hôtesse.
– Cette nuit, tu vas entendre un grand bruit, n’aie pas peur et prie Dieu d’avoir pitié de ces mécréants de Faudan.
Vers minuit, la Marguerite fut réveillée en sursaut. Dans un fracas d’apocalypse, la montagne s’écroula. Au lever du jour, lorsqu’elle ouvrit la porte de sa masure, elle put constater que le village avait disparu.
A sa place s’étendait un immense éboulis, un chaos de roches. Le cataclysme n’avait épargné que sa pauvre demeure, engloutissant à tout jamais Faudan et ses habitants sous l’éboulis qui s’étale maintenant jusqu’à la rive de l’Arc.